Chaos calme, de Sandro Veronesi
Sandro Veronesi est un romancier italien très connu en Italie
Trois de ses livres ont été traduits en Français , notamment "Chaos calme" qui a connu un succès mondial et a été adapté au cinéma
La suite de ce roman, "Terre rare" vient d'être publiée chez Grasset
Ce livre m'a plu parce qu'il parait à la fois léger et enlevé dans son style, mais aussi profond et émouvant dans l'histoire relatée (bien qu'un peu léger sur la question sociale , à savoir la fusion de deux mastodontes de la téléréalité qui va mettre à la rue un certains nombres de gens!)
Résumé:
Après avoir sauvé une femme de la noyade(dans un premier chapitre inoubliable) , Pietro Paladini découvre sa femme morte et reste seul avec sa fille de dix ans Passant ses journées devant l'école, à Milan, il ne sort plus de sa voiture...Il attend de souffrir, mais ce n'est pas facile de ressentir la perte. Il se sent plutôt hébété, réfugié dans une espèce" de chaos calme".
Les visiteurs se succèdent dans le véhicule, déversant condoléances et confidences auprès du héros devenu obligeant conseiller thérapeute en vies professionnelles et conjugales..
Sandro Veronesi déploie ici les séductions d'un récit étonnamment divers, évoquant tout à tour les relations d'un père et de sa fille, des scènes érotiques , des histoires familiales, des démonstrations d'ambitions etc...
et le veuf qu'il propose à l'imagination des lectrices est bien séduisant et sympathique....
Francine Protat
Sens dessus dessous, de Milena Agus
Milena AGUS : Auteure italienne née en 1959 à Gênes d’une famille sarde. Elle est professeur d’italien et d’histoire et enseigne à Cagliari dans un institut technique.
1er roman paru en 2005 « le requin qui dort » mais c’est « Mal de pierres » qui la révèle notamment en France en 2006.
En 2008 « Battement d’ailes », puis « Sens dessus dessous » en 2011 traduit en 2016 et « Prends garde » en 2014, traduit en 2015.
Elle défend farouchement la langue sarde avec d’autres auteurs italiens.
« Sens dessus dessous » édité chez Liana LEVI traduit de l’italien, 146 pages.
La narratrice Alice, jeune étudiante, vit à Cagliari dans un immeuble biface. Côté port, sont les beaux appartements résidentiels et côté rue, les appartements modestes.
Au dernier étage, vivent les Johnson, couple américano-sarde qui ont une vue panoramique sur la mer : mari violoniste virtuose, mais déjà âgé et « fringué comme un as de pique » !
Tout en bas à l’entresol, Anna, femme de ménage, débordante de gentillesse mais fantasque vit avec sa fille. Elle rêve d’être chanteuse.
Au milieu, Alice, solitaire, veut devenir écrivain. C’est elle qui propose Anna pour tenir l’appartement du violoniste en l’absence de sa femme.
Tous ces personnages sont cabossés par l’existence et cela les rapproche. Ils vont former une famille avec tout ce que cela implique : amour, amitiés, querelles.
Evidemment leur vie va être bouleversée.
Peut-être ce roman nous rappelle-t-il « l’élégance du hérisson » mais le lecteur est rapidement captivé par l’histoire.
L’auteur écrit un roman plein de malice et de poésie, avec un brin de folie mais beaucoup d’humanité. Elle campe avec ironie ses personnages ordinaires mais qui ne le sont pas vraiment au fur et à mesure du récit.
Très belle écriture aux descriptions magnifiques de son île la Sardaigne avec pour toile de fond, la mer.
« Les poissons ne ferment pas les yeux » d’Erri de Luca
Erri de LUCA
Il naît en 1950 à Naples, dans une famille bourgeoise ruinée par la guerre, contrainte de se replier dans le quartier populaire de Montedidio, et grandit dans une ambiance oppressante. Son père, qu’il admire, lui transmet la passion des livres. « Je n’avais pas de chambre d’enfant, j’étais l’hôte des livres de mon père ». Il écrira dès l’adolescence, sans publier.
Très jeune, il s’engage en politique, d’abord au parti communiste, puis dans des partis révolutionnaires d’extrême gauche. En 1978, à 28 ans donc, il entre comme ouvrier chez Fiat, puis deviendra jusqu’en 1995 ouvrier solitaire et itinérant. En 1983, bénévole en Tanzanie, il tombe aussitôt malade et découvre une bible, d’où naîtra sa passion pour l’Ancien Testament et l’hébreu.
Il publie son premier ouvrage à 40 ans, stimulé par la maladie de son père, dont il veut, avant sa mort, lui montrer qu’il peut être fier de lui. Et son père restera présent par delà la mort. « Quand j’écris, je chuchote parce que je pense qu’il est resté aveugle même là où il est, et qu’il n’arrive pas à lire la page derrière mon épaule. Il aimait les histoires et je suis encore là pour les lui raconter. »
Il aime écrire. « Ecrire est un moment festif qui m’a tenu compagnie toute ma vie. » Tous ses romans se déroulent à Naples et ont un fondement autobiographique.
Erri de Luca a fait récemment parler de lui par ses démêlés avec la justice en raison de son opposition irréductible à la construction de la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin.
Les poissons ne ferment pas les yeux
Roman publié en 2013 chez Gallimard (144p., 19.90 €)
Un enfant de 10 ans, dans les années 50, passe ses vacances sur une île, seul avec sa mère, car son père est parti en Amérique avec sa sœur pour chercher une situation meilleure. Ce gamin est bloqué dans l’enfance, mais se nourrit des livres empruntés à son père. « Je restais enfermé dans l’enfance, comme nourrice sèche j’avais la petite chambre où je dormais sous les châteaux de livres de mon père ». Il s’isole près des pêcheurs dont l’un le prend en amitié.
Sur le sable, il rencontre une fille du Nord, un peu plus âgée, passionnée de lecture, d’écriture et d’animaux, ce qui suscite la jalousie et la haine de 3 adolescents qui lorgnent sur la fille. Face à cette agressivité, il décide d’offrir à leurs coups son corps d’enfant qui a besoin de cette épreuve pour grandir, comme un poussin doit sortir de sa coquille. « Je le sais, depuis un an, je grandis et mon corps non. Il reste en arrière ».
Dans une démarche un peu christique, il choisit d’aller lui-même à la rencontre de ses agresseurs. Comme les poissons, il ne ferme pas les yeux, ni devant les coups reçus, ni face au premier baiser échangé avec la fille.
Dans ce beau texte, se succèdent des épisodes initiatiques pour atteindre le but : sortir de l’enfance, s’éveiller à l’altérité, se transformer. Le monde extérieur doit s’affronter les yeux grands ouverts. Il s’agit de regarder en face la cruelle beauté de l’existence. Le livre se compose d’allers-retours entre le passé et le présent. Ainsi du retour du père, qui renonce à l’Amérique, sa femme n’ayant pas voulu quitter Naples, aussitôt suivi du récit de la mort de ce père survenue beaucoup plus tard.
Le tout est écrit dans une langue sobre, dense et imagée. « Aujourd’hui, je racle l’assiette de l’horizon jusqu’à la dernière lumière ».
La vie d’Erri de Luca est omniprésente dans ce roman : les moments heureux de son enfance étaient ses vacances sur l’île d’Ischia, face à Naples, où sa famille possédait un cabanon, l’enfant de 10 ans des années 50 peut correspondre à lui qui a eu 10 ans en 1960, il est fait état d’une grand-mère originaire d’Amérique, ce qui était son cas (rejetant ses origines américaines au cours de sa démarche révolutionnaire imprégnée d’antiaméricanisme, il changea son prénom Harry … en Erri qui n’est autre que la prononciation phonétique du premier), enfin le père décrit dans ce livre ressemble bien à celui qu’on imagine être le sien.
Pour conclure, il s’agit d’un très beau livre, mélange de conte, de récit et de poésie, qui nous introduit en profondeur dans la problématique toujours délicate du passage de l’enfance à l’adolescence et dont on peut penser qu’elle correspond à ce qu’Erri de Luca a lui-même vécu.
Jean-Pol Isambert – 3 juin 2016